Fall River Legend - Agnes de Mille
Un retour sur la
pointe des pieds... afin de laisser une trace de mon enthousiasme
pour le ballet Fall River Legend d'Agnès de Mille (1948),
récemment vu à l'Opéra Garnier. Il ne s'y joue déjà plus depuis
une semaine, mais si, un jour, un hypothétique lecteur, ignorant,
comme je l'étais, du travail de la chorégraphe américaine, lit
ceci et a la possibilité d'assister à un ballet de son répertoire,
surtout, qu'il y aille.
De format court (moins
d'une heure), ce ballet m'a peut-être conquise par ses similitudes
avec la peinture d'Edward Hopper. J'ai sans doute trop prêté
attention aux décors... Un vieux travers... Mais je ne crois pas
trahir ainsi l'esprit d'Agnès de Mille qui était « fièrement
Américaine dans ses goûts et allégeances » selon l'obituaire
du New York Times (la danseuse est décédée en 1993). Hopper donc,
les couleurs de l'angoisse existentielle, la palette d'une Amérique
de faits divers. Agnès de Mille, semi-réaliste comme Hopper, a
transcrit en mouvements l'histoire vraie de Lizzie Borden qui, à la
fin du XIXème siècle, assassina père et belle-mère à la hache.
Un crime atroce dans son esthétique, certes, mais un crime parmi
d'autres ? Ce sont sans doute l'identité des victimes du
meurtre et les ressorts de la meurtrière qui s'agrippent à la
conscience.
The house by the railroad, 1925
Agnès de Mille, dans une
grande simplicité de narration, par une danse circulaire inventée
de pas nouveaux et allégée de pointes, déroule le drame : la
vie idéale, si brièvement illustrée, humblement gaie, le décès
de la mère, l'apparition de la marâtre qui a le toupet de revêtir
le châle de la défunte mère, la romance étouffée dans l’œuf
entre Lizzie et son pasteur, la fragilité émotionnelle,
l'irréparable, la mise au ban de la bonne société avec laquelle on
se prêtait jadis à de gentilles danses folkloriques.
De la Petite Maison
dans la prairie, le spectateur bascule dans le thriller. Cela est
rendu possible par l'abandon de certains canons de la danse classique
et l'avènement de la théâtralité voulus par Agnès de Mille.
Toujours selon le New York Times, « viewing dance as a
theatrical and expressive art, Miss de Mille stressed motivated
gestures rather than niceties of classical style in her
choreography. » Un talent choréographique immédiatement
émouvant dédié à la recherche de l'identité humaine dans un pays
en quête de son propre mystère.
Un extrait du ballet tel que monté à Garnier
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