Regarde... Mathurin Méheut
Au
Musée de la marine, au-delà des impressionnants spécimens de
bateaux exposés dans des salles aux proportions toutes
Trocadéro-esques, un autre accrochage motive la visite. Il s'agit de
la dense exposition consacrée à Mathurin Méheut, un artiste breton
habité par les paysages, les traditions et les métiers de sa
région. Les sujets de prédilection de Mathurin Méheut sont ainsi
le monde maritime et la vie rurale de la Bretagne du début du XXème
siècle. Loin d'être insignifiants, rebattus ou soporifiques, les
sujets transcendés par la touche de Mathurin Méheut constituent une
fresque naturelle et sociologique puissante. Les
processions religieuses, les pêcheurs au travail, les ramasseuses de
sel et goémonières : voici le portrait digne et laborieux de
la Bretagne de son temps.
Femmes de Saint-Cado © Rousseau, Grand Angle, Lamballe
Mathurin
Méheut n'a pas dépassé cette qualification de peintre régionaliste
par ses seuls sujets. Il aspire aussi à voyager, et y parvient
notamment grâce à la bourse octroyée par Albert Khan : Japon,
Inde, Ceylan... Mais alors la première guerre mondiale éclate et
Méheut abandonne ses recherches plastiques inspirées des temples
japonais. Il rejoint le régiment d’infanterie puis les services
topographiques des états-majors. Il s'attachera, du fond des
tranchées, à réaliser des croquis témoignant du quotidien de ses
camarades Poilus, magistraux.
L’exécution capitale, 5 julliet1915 © Rousseau, Grand Angle, Lamballe
Mathurin
Méheut appliquera également son talent à la céramique, au long
cours de plusieurs décennies et diverses collaborations avec des
ateliers comme la faïencerie Henriot (Quimper), ou la prestigieuse
Manufacture nationale de Sèvres. Plusieurs services sont ainsi
exposés au Musée de la marine, et hélas ma première réaction a
été la déception. Les réalisations ne sont-elles pas un peu
stylistiquement datées ? Peut-être pour notre regard
contemporain, mais, du temps de Méheut, par exemple, « le
traitement des coquillages, poissons et animaux marins du service de
la mer, modernise les traditionnelles bretonneries ». La
scénographie de cette exposition en sous-sol, privée de la lumière
du jour, joue peut-être aussi un rôle dans le déficit de mise en
valeur des pièces céramiques. Manque d'éclat de la lumière
artificielle, coloris des cimaises mats et lourds (issus de la
palette même de Méheut, tel ce ocre foncé) : malgré les
belles vitrines reconstituant les services à table, un peu de
vigueur manque à la présentation.
Ce
qui m'a par contre absolument éblouie est l'ouvrage de Regarde,
un livre pour enfant écrit par Colette et superbement illustré
par Mathurin Méheut. Le homard bleu ayant habilement servi à la
communication de l'exposition est d'ailleurs tiré de ce petit bijou,
désormais très recherché des collectionneurs. La vivacité des
couleurs et la douceur maîtrisée du trait créent des créatures
dont on ne sait ce qui l'emporte du réalisme ou de l'onirisme.
J'avoue que c'est même ce homard placardé dans les couloirs du
métro qui m'a seul décidée à venir voir l'exposition. Pouvoir des
images...
Autre
surprise : la correspondance avec Yvonne Jean-Haffen, une amie
artiste. Mathurin Méheut a produit de grands diables de lettres,
rehaussées d'illustrations ou véritablement mangées par les
dessins.
Ainsi
donc une exposition qui fut une totale découverte, défiant les
gloires nationales actuellement célébrées (Eugène Boudin, Marc
Chagall, etc.) et mettant également au défi les habitudes
esthétiques du parisien amateur d'art.
Jusqu'au 30 juin 2013
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