Vie tranquille ou nature morte - Ron Mueck à la Fondation Cartier
De
Ron Mueck, il est aisé de résumer l'œuvre à l'hyperréalisme et
au changement d'échelle. L'exposition présentée actuellement à la
Fondation Cartier se propose d'aller au-delà de ces lieux communs.
Couple Under An Umbrella, 2013 - Courtesy Caldic Collectie Wassenaar
L'exposition,
présentée comme rare, est aussi plutôt courte. Contrairement à
certaines présentations (collectives, notamment) où le visiteur est
abruti d'images, il n'y a ici qu'une poignée de sculptures se comptant
sur les doigts des deux mains. Ce dépouillement est favorable à la
contemplation et à l'introspection du visiteur. Ainsi, l'expérience
n'est pas d'une folle gaieté, elle n'est pas à ranger dans un guide
de happy activités pour bobo parisien (food truck, tiki bar,
concert, vente privée, balade à vélo, fish pedicure).
Existentialisme en trois dimensions, mythes ancestraux ou
contemporains, mélancolie de la vie qui pèse ou du temps qui file,
voilà les thèmes auxquels le public est confronté.
Ron
Mueck a entamé sa vie professionnelle en Australie en tant que
créateur et animateur de marionnettes pour une émission enfantine à
succès, avant d'acquérir de solides connaissances dans les
« animatronics ». Peut-être en raison de ce bagage, et
selon Aurélie Verdier (sur le site de la Tate), le contexte
technique du processus de création de Ron Mueck a souvent supplanté
dans les critiques le contenu intellectuel et symbolique de son
travail. Mais, peut-être pour pallier le parcours relativement
rapide, il a été décidé de rajouter une vidéo à l'exposition,
qui se concentre sur les étapes techniques de l'élaboration de
quelques pièces. D'une assez longue durée, le travail vidéo de
Gautier Deblonde permet en effet de concrétiser les heures
innombrables passées sur chaque pièce, le talent de sculpteur de
Ron Mueck, l'étendue de ses connaissances techniques. Et son atelier
(ici quelques photos de Gautier Deblonde, non issues du
documentaire).
Deux
éléments de l'environnement de travail de Ron Mueck m'ont
particulièrement frappée : l’exiguïté de l'atelier et la
présence de deux jeunes assistantes qui partagent aussi bien les
multiples étapes de création que l'intimité des repas. Ceci
façonne un univers familier, calme, sans beaucoup de paroles (hormis
celles émanant de la radio), mais aussi artisanal, à la limite du
rudimentaire. Il y a du populaire dans les détails de l'atelier de
Ron Mueck. Un travail de patience, une ascèse, presque. Nous voici
donc bien loin des ateliers de Jeff Koons, pour ne citer que lui,
ruche ultra moderne et surpeuplée. Un silence qui correspond au peu
d'envie de l'artiste d'accorder des entretiens à la presse.
La
présence de Ron Mueck à chaque étape du processus montre son
attachement aux gestes et plus profondément, à la finalité de
l’œuvre. Il aurait tout aussi bien pu déléguer/externaliser
certaines portions du travail, mais ce n'est pas la voie qu'il a
choisi d'emprunter. Cette banalité à la limite du pas pratique
colle bien à l'apparence extérieure de l'artiste : là aussi
balayée l'image du romantique, de l'excentrique ou du hipster. Ron
Mueck est un solide Australien installé en Angleterre, d'assez
grande taille, avec pour toute parure une paire de jeans et des
chaussures de rando. Un homme moyen, que rien ne distinguerait dans
une foule d'anonymes. Pas de marque distinctive marquant la
créativité, les rêves et les représentations sous le crâne. Et
pourtant (ou est-ce mon imagination?), à y regarder de plus près,
en faisant abstraction des vêtements issus de grande surface
d'articles de sport, il y a un petit grain de sable dans la posture
de Ron Mueck, dans sa façon de bouger, dans son expression faciale.
Presque rien, mais un quelque chose. Un air un peu trop sombre
(absorbé?), les épaules un peu voûtées à la façon d'un homme un
peu trop grand (comme certaines de ses sculptures).
Ce
grain de sable entre en résonance avec une belle scène de nuit :
on y voit Ron Mueck modeler Couple under umbrella à
la lumière d'une lampe unique. Pas d'assistantes en vue. Au-delà du
halo de lumière, solitude et recueillement. Mystère de la création.
Deux
autres gestes de l'artiste sur ses sculptures m'ont aussi semblé
significatifs. Tout d'abord, la façon dont Ron Mueck affine la
terre modelée (sur un squelette de tasseaux de bois, grillage de
poule et plâtre dentaire), à l'aide d'une éponge humide. Il s'agit
d'une astuce très répandue pour ceux qui manipulent la terre. Mais
le geste prend ici une autre dimension car c'est celui d'un homme,
vivant, sur le corps, réduit, d'une femme nue (en l'état), et inanimée. Comme
s'il lavait cette femme doucement, son ventre, ses cuisses, Ron Mueck
humanise le modèle réduit de femme. Le second geste particulier est
celui, à l'inverse de cette tendresse, du tronçonnage du modèle
réduit Mask II, en deux parties, longitudinalement,
par le milieu du visage. Les sculptures sont donc aussi aux yeux de
l'artiste de simples objets, qu'il est aisé de maltraiter, déformer, ré-assembler. Ce paradoxe est revendiqué par Ron Mueck, qui
s'exprimait ainsi dans une interview accordée à Sarah Tanguy pour
sculpture.org :
ST: I’m curious about the relationship you have with your sculptures. Do you see them as human beings, almost? Or more like mannequins?RM: I don’t think of them as mannequins. On one hand, I try to create a believable presence; and, on the other hand, they have to work as objects. They aren’t living persons, although it’s nice to stand in front of them and be unsure whether they are or not. But ultimately, they’re fiberglass objects that you can pick up and carry. If they succeed as fun things to have in the room, I’m happy. At the same time, I wouldn’t be satisfied if they didn’t have some kind of presence that made you think they’re more than just objects.
Ainsi
donc, ce qui pouvait passer d'emblée pour une vidéo faisant, une
fois de plus, l'apologie des compétences techniques de Ron Mueck, se
révèle en fait être une porte d'entrée sur l'imaginaire de
l'artiste.
Une
plongée salutaire.
Woman with Sticks, 2009 Courtesy Hauser & Wirth © Ron Mueck Photo Thomas Salva - Lumento 2013
Jusqu'au
29 septembre 2013
Commentaires
Merci pour ce compte-rendu très complet !