Au-delà du street art. Ou pas.
(Je
vais être dure.)
J'avais
l'intuition que cette exposition ne remporterait pas mon adhésion.
Je sentais confusément qu'il serait très difficile de faire rentrer
le street art au Musée, malgré tout l'amour et le respect que j'ai
pour l'institution muséale en général. Il faut peut-être être
Américain, citoyen de la patrie de naissance du mouvement street
art, et avoir les moyens et la liberté intellectuelle de leurs
musées-mastodontes, pour y parvenir.
Je
n'ai tout d'abord pas compris le choix du titre de l'exposition
(attention, j'avoue ne pas avoir parcouru le catalogue...). Au-delà
du street art, n'est-ce pas, déjà, un jugement de valeur ?
Dire qu'au Musée on est si érudit, si plein de notre importance,
que, bien sûr, on parviendra à s'arracher des contingences
terriennes du street art de terrain pour en donner
une vision d'historien de l'art, enrichie ?
Scénographie.
Lumière chiche, il fait assez sombre. Pour illustrer le sulfure
originel du street art, son appartenance au monde effrayant de la
rue ? J'aurais pris le contrepied, j'aurais inondé de lumière
ces œuvres. Quitte à les exposer, quitte à leur faire quitter le
gris bitume... Mais faut-il justement exposer le street art ?
N'est-ce
pas contre-nature d'arracher le street à son environnement naturel,
celui qui en est l'essence et la légitimité, le tour de force ?
Il
ne me plaît guère de jouer les réactionnaires et de respecter les
cases. La peinture dans les belles galeries, le street art à la rue.
Et pourtant force est de constater que le street art au musée, en
tout cas pour cette exposition, ça ne fonctionne pas. On nous sert
alors une exposition triste et sans relief, que l'on parcourt sans
plaisir, sans frissons, sans envie. Une exposition froide, neutre,
sans saveur.
Une
exposition qui récite bien sa leçon, d'une figure centrale du
mouvement à une autre, chacune dans son petit box « étiqueté »
à son nom. Par les artistes choisis, bien que même les plus fameux
d'entre eux n'y soient pas tous représentés, l'exposition tient ses
promesses de faire un état des lieux du street art : techniques
utilisées, messages délivrés, etc. Mais le tout ressemble trop à
un exposé de collégien appliqué : des informations, pas de
génie. Un effort louable, pas de sentiment. L'enfer est pavé de
bonnes intentions...
Je
n'y ai pas du tout retrouvé l'élan des street artists dont on se
figure toujours trop peu l'exercice le plus souvent illégal de leur
création. J'étais accompagnée dans ma visite par quelqu'un
qui n'était pas particulièrement intéressé par le street art, et
le parcours de l'exposition n'a en rien contribué à lui faire
réviser sa position. J'avais presque honte... Moi qui lui avait fait
miroiter la rencontre avec un univers passionnant, voici la pauvre
démonstration que nous en avions sous les yeux...
Les
œuvres qu'il a été possible de réunir ne sont pas de la meilleure
facture. Les space invaders, notamment, les Miss. Tic. Même les
installations spécifiques pour l'exposition ne m'ont pas entièrement
séduite. Banksy, le terroriste du street art, un artiste
(réellement, je crois) à la marge du système, distillant ses
pochoirs parmi les plus incisifs du mouvement. Où est la provoc, le
doigt d'honneur dans l'exposition? On ne les retrouve pas.
La
présence au Musée de ces pièces (erstatz?) de street art trouve un
écho amusant dans cette affaire de la disparition d'une œuvre de
Banksy, apposée sur un mur d'une petite commune anglaise, Haringey.
Surnommée Travail d'esclave, l'œuvre représentait un
garçon pieds nus en train de coudre des drapeaux du Royaume-Uni à
la machine, une allusion aux préparatifs du jubilé de la
reine. Une vraie pièce de street art dérobée à son lieu de
naissance, n'est-ce pas un bien piètre vol? C'est un signe
supplémentaire de l'existence de petits malins qui ont tout compris
au tout mercantile. Mais pas grand chose au street art. Pour la
petite histoire, la maison de vente américaine dans laquelle s'était
retrouvé le bout de mur a renoncé à le présenter, sans
explication supplémentaire. Mais la mobilisation des habitants de
Haringey n'y est sans doute pas étrangère.
Après
cette exposition, je suis renforcée dans ma conviction que la
meilleure (la seule?) façon de découvrir et de vivre le street art,
c'est encore d'arpenter la ville, les yeux grands ouverts, le cou
bien mobile... Il est des villes ou des quartiers plus fertiles que
d'autres, c'est vrai, mais le street art reste globalement une forme
d'art qui se fait désirer, qui attend souvent d'être débusquée,
qui se mérite, en somme. Le street art va et vient au gré du
rapport de force entre artistes, autorités municipales,
propriétaires, galeristes, maisons de vente... Le prendre en
flagrant délit, voici à mon sens la seule façon de l'apprécier
pleinement. Le reste fait pâle figure en comparaison.
Puisque
nous ne résistons jamais à un mauvais jeu de mots, nous sommes au
regret de conclure que cette exposition qui ambitionnait, un peu
pompeusement, d'aller au-delà du street art, est restée bien
en-deçà.
Je
vais me balader.
Jusqu'au
30 mars 2013
Commentaires
L'expo de la fondation cartier sur les graffitis avaient quelque chose de mieux (?) : les graphistes venaient quotidiennement refaire la façade à l'entrée et on pouvait échanger directement avec eux.
Mais sinon ...