L'Avent de l'art // Jour 1 : L’œuvre Telle mère, tel fils, d'Adel Abdessemed
Alors
que la blogosphère prépare minutieusement la mise en ligne de
calendriers de l'avent virtuels (musique ou motifs à télécharger,
idées recettes, DIY,etc.), le Cadavre exquis culturel se lance
aussi ! Chaque jour de l'Avent, un billet à propos d'une œuvre
ou d'une exposition, pas à pas jusqu'à Noël. Le format sera plus
léger que les billets habituels : c'est qu'il faudra tenir le
rythme ! Mais le défi est une contrainte féconde !
Bel
Avent...
L’œuvre
est une pièce monumentale qui occupe toute la partie est du grand
hall de Pompidou. On aperçoit de loin des avions entremêlés. En
faisant le tour, on en distingue trois, étroitement imbriqués les
uns aux autres; il n'est pas aisé de suivre le cheminement de chaque
pièce. Car l'artiste a récupéré les extrémités de trois
carlingues d'avions ayant fini leur carrière et a remplacé le
fuselage par une sorte de grand tube de feutre. L'effet est celui
d'un avion très allongé, affiné... et légèrement émasculé !
L'adjonction de ces prothèses de feutre produit un subtil effet
comique qui n'est pas sans me rappeler les facéties d'Erwin Wurm.
Il
s'avère en fait qu'Adel Abdessemed, très érudit en matière
d'histoire de l'art, a voulu effectuer une référence directe à
l'une des 3 matières mythiques de Joseph Beuys (avec la graisse et
le cuivre). Grand bien lui fasse, la référence n'est pas de nature
à bouleverser l'expérience de l'observateur. C'est d'ailleurs une
critique que le site Art actual a adressé à certaines parties de
l’œuvre d'Abdessemed : « Although Abdessemed’s
investment with any and every thing in the world does lead to
instances of immediate and powerful experience, […] the overt
references take away from what could be an encompassing experience.
Abdessemed’s work does not need the pedantic embellishments. »
Et
pourtant, selon les mots mêmes de l'artiste, « Je suis un obsédé
du sens, il n’y a que ça qui doit rester. Presser, presser comme
on écrase un citron,presser le sens. »
Un
premier niveau de sens est à rechercher dans son regard sans
concession sur la marche du monde. Adel Abdessemed se nourrit du
matériau historique, et selon Philippe-Alain Michaud, commissaire de
l'exposition « Je suis innocent » du centre Pompidou, il
utilise l'ornement comme l'instrument de sa transfiguration ou de sa
stylisation : les avions se transforment en entrelacs. « À la
manière dont, dans la théorie freudienne, le jour qui précède
fournit au dormeur le matériau d'élaboration de son rêve, – ce
que Freud appelle « le jour du rêve » –, l'actualité fournit à
Abdessemed le matériau de ses pièces, qui sera ensuite soumis à un
travail de transformation. »
Selon
un second niveau de lecture, Telle
mère, tel fils serait
l'expression plastique de la foule de liens, de références et
d’auto-références de l'artiste. C'est encore Guillaume Mansart
qui en parle le mieux dans un article pour 4,
revue semestrielle d'art contemporain en Rhône-Alpes (n°2).
« L’œuvre fait de ce
maillage son statement. […]
L’avion, élément
récurrent dans l’œuvre d’Adel Abdessemed, est souvent lié à
l’image du chaos ou des puissances négatives. Ici, il manifeste
les entrelacs d’une pensée insaisissable. ». Et aussi
« Tirer les fils qui bâtissent l’œuvre globale d’Adel
Abdessemed, c’est accepter de s’enfouir »dans des strates
qui [...] n’en finissent pas de s’étirer, de se détourner et de
recommencer. C’est accepter de se perdre, de tomber sur des
impasses, des facilités ou des complexes. »
Nulle
part n'est fait état des raisons du choix du titre de l’œuvre. La
même revue critique américaine reproche aussi les titres abscons de
certaines pièces d'Abdessemed. En tout état de cause, nous n'avons
pu nous empêcher de songer, encore, à Freud, et à l'établissement
complexe des relations mère-fils.
Quoi
qu'il en soit, Telle mère,
tel fils est une expérience
de l'espace à vivre, une belle façon d'occuper la vaste surface de
ce hall de Pompidou par ailleurs accaparée par les caisses et
boutiques. Le dialogue avec le sol de béton et les lignes au sol est
une contextualisation réussie pour ce trio d'avions sur le retour.
Ils peuvent, aussi mêlés qu'ils le sont, réaliser leur mue en
toute tranquillité : fi de la puissance martiale et économique
des longs courriers qu'ils étaient peut-être, ils s'humanisent
désormais sous les déambulations pensives de milliers de visiteurs.
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