Super White - Irene Nordli à la Galerie Collection
[C'est
dans le cadre de l'exposition Norvège->Paris, Variations autour du craft présentée à la Galerie Collection (Ateliers d'art de France) que les œuvres d'Irene Nordli se
situent. J'ai eu la chance de rencontrer l'artiste en personne lors
d'une conversation organisée par la galerie, lors des Designer's days.
Irene Nordli s'est exprimée en norvégien, et une jeune femme a joué le
rôle d'interprète. Je ne mentionnerai pas les autres œuvres de
l'exposition pour n'y avoir pas prêté suffisamment attention lors de
cette visite-conversation centrée sur Irene Nordli.]
C'est
une esthétique du fragment et de la recombinaison que joue Irene Nordli
dans sa série « Super white ». Le titre fournit d'autres indications :
l'attachement au blanc immaculé de la porcelaine, la représentation de
« super » figures, héros inventés à partir de prélèvements sur figurines
de super-héros, mais aussi de jouets, et autres petits sujets
anecdotiques peuplant l'habitat bourgeois, trouvés après des générations
au fin fond d'un grenier.
Les
figures exposées sont essentiellement féminines, c'est la couleur qui
est d'emblée annoncée dans le document d'aide à la visite. Mais je
n'aime pas lire ce type de documents avant de me faire un avis
personnel. Je me suis donc forgé en moins de 5 minutes l'intime
conviction que les personnages-amalgames d'Irene Nordli étaient des
hommes.
D'une
part, la plupart des pièces présentées à la Galerie Collection est
composée de fragments de corps plutôt « asexués » (jambes, pieds) dont
il est difficile de dire le genre. D'autre part, les membres sont
denses, les muscles saillants, les chaussures de gros godillots que les
cavaliers norvégiens du XVIIIe n'auraient pas boudé.
C'est
donc en toute confiance que je demande innocemment pourquoi l'artiste
s'attache-t-elle de façon aussi caractérisée à créer des figures
masculines ? Intervalle traduction. Petit blanc porcelaine. Puis Irene Nordli répond tranquillement et très clairement que les figures sont en fait féminines. Je pique un fard absolument pas porcelaine.
Irene
Nordli poursuit en expliquant benoîtement que ce sont juste des femmes
très très musclées, l'air de dire « bien évidemment que les femmes
peuvent aussi être des costaudes, petite Française arriérée ». Oui,
mais... Et les chaussures ?! Tout cela est de la faute des chaussures.
On ne me fera pas croire que de tels équipements évoquent d'emblée
l'image que l'on a, enfouie dans son cerveau reptilien, de l'essence
féminine.
Qui
plus est, Irene Nordli a insisté sur son intérêt initial pour les
figurines historiques qu'elle trouvait dans le grenier familial. Or ce
type de figurines classiques ne représentait pas les femmes de la sorte.
Imbroglio, à l'instar des concrétions de membres sorties de
l'imagination de l'artiste norvégienne !
C'est
donc selon une seconde lecture qu'il ressort qu'Irene Nordli a extrait
la substantifique moelle de super-héroïnes ou de personnages mangas
féminins : l'extraordinaire musculature et le costume de lumière ! Au
détour, une petite leçon de féminisme made in Pays-nordiques-très- progressistes : les muscles et les bottes de sept lieues peuvent tout aussi bien être des attributs féminins.
Au-delà
du genre, que sont donc ces pièces ? Chaque pièce est multiple mais
possède une identité unique. Il ne s'agit pas d'une mêlée de destinées
différentes mais bien d'un hybride. Pour preuve, Irene Nordli souligne
dans sa conversation avec l'assemblée l'importance qu'elle a accordé à
joindre parfaitement toutes les parties du tout, et à effacer toute
trace de jointure, de cicatrice. C'est donc bien qu'une entité à part
entière a vu le jour qui n'est pas la somme de ses parties, mais une
transcendance. C'est une filiation biologique réinventée dont Irene
Nordli dessine ici les contours, dont l'engeance est une collection de
monstres policés. Foin des grossiers points de suture de la bête
Frankenstein, les nouvelles formes de vie d'Irene Nordli sont intègres,
organiques.
Si
le répertoire de formes dans lequel l'artiste a pioché est celui de la
culture populaire et de son lot de représentations idéalisées ou
héroïques, le résultat en perd la nature pour flirter avec le grotesque
et l'angoissant. Burlesque quand les guibolles s'entremêlent, anxiogène à
voir deux jambes reliées directement entre elles sans pelvis et tendues
à l'extrême, comme cherchant à s'arracher l'une de l'autre.
Les
extraits humains se fondent aux formes animales, notamment dans une
pièce où de petites têtes féminines se prolongent par ce qu'il semble
être des extrémités de pattes de poulet, ou encore quand une jambe finit
en cou de cygne. D'un œuf sort un gros homme d'âge mûr, enfin c'est ce
qu'en dit l'artiste, car cet homme semble si bien s’accommoder de sa
position qu'il n'a pas l'air pressé de sortir totalement de l’œuf.
Quelques
autres pièces, plus « gore » selon le mot d'Irene Nordli, évoquent
l'organe interne ou la limace géante. L'artiste a voulu créer des
aliens, selon son besoin d'hommage, une fois de plus, à la culture
populaire. Le rendu est toujours beau, mais le propos sans doute un peu
trop littéral.
Pour
finir, une forêt de bras miniatures tendus vers le ciel, comme une
armée de destins qui ne veulent pas finir. Pour Irene Nordli, en mots de
porcelaine, la vivacité du présent efface la déliquescence du passé.
Irene Nordli est représentée par la galerie Format.
Norvège->Paris, Variations autour du craft, jusqu'au 10 novembre 2012
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