La walkyrie tranquille
Un samedi du mois de
juillet, au château de Versailles, sur les coups de 16h. Impossible de réfléchir posément au dialogue
qui s'opère entre les œuvres de Joana Vasconcelos et le lieu : tout
est parasité par l'extraordinaire affluence.
Les touristes se
pressent d'une pièce à l'autre, avec le plus souvent comme seul
espace de déambulation un mince couloir entre la reconstitution
délimitée par une cordelette et les fenêtres. A chaque pas de
porte, goulot d'étranglement : le cauchemar. Et dieu sait s'il y a
de nombreux pas de porte à Versailles.
Cependant, la plupart
des œuvres sont de grande taille, on peut les voir sans trop de
difficultés. Deux cœurs sont même suspendus au plafond : soupir
d'aise.
Les œuvres sont
exubérantes, tapageuses, par leur taille, leurs couleurs, leur
forme. Elles sont, comme lors les expos précédentes, le miroir du
goût pour le luxe à grand bruit et pour le foisonnement de
l'ornement de Louis XIV. Notamment, une installation toute d'ors, de moire et
de brocart (Golden Valkyrie, 2012), suspendue au milieu de la
grande Galerie des Batailles. De loin, on peine presque à distinguer
l'œuvre des dorures et encorbellements du décor d'époque. Et
pourtant ce vaisseau textile, au fur et à mesure que l'on se
rapproche, se détache du fond et acquière une autonomie de conte de
fées déjanté.
Oui mais alors qui
est Joana Vasconcelos? Une autre craft-rtist? Qui assemblerait
laborieusement des pièces de tissu, peluches, et autres
passementeries? Une forme un peu évoluée et non anonyme de yarn bombing? Une pâle copie d'Annette Messager?
Non, en deux points :
L'exposition, comme
celle de Bernar Venet l'année dernière ou encore celle consacrée à
Takashi Murakami, montre cette modalité courante du travail
artistique qui consiste pour une tête rêveuse et chercheuse à
s'entourer d'une équipe de collaborateurs plus ou moins spécialisés
afin de donner vie à l'idée, qu'ils soient eux-mêmes artistes,
artisans, usiniers, transporteurs, etc.
De plus, si les
œuvres d'assemblage textile qui sont la marque de Joana Vasconcelos
ont la part belle dans l'exposition, elles côtoient d'autres pièces,
textiles ou non, qui démentent l'accusation si française
d'artisanat déguisé.
Ainsi en va-t-il
d'une paire de homards en céramique recouverts de crochet,
de lions de marbre ayant subi le même traitement, des deux gros
cœurs suspendus, ainsi que Marilyn,
l’incontournable paire d'escarpins.
Constitués de
dizaines de fait-tout et autres marmites d'inox, ils matérialisent
le double boulet à laquelle la femme est encore encordée : la femme
fantasme en talons aiguilles, et la femme d'intérieur. Rien de plus,
rien de moins. Quant à la taille, démultipliée pour montrer
l'importance du féminin dans la marche du monde? Le poids de ses
chaînes? Ou simple « statement piece » bien pratique
pour emporter l'adhésion du flâneur?
Espérons que non,
que Joana est bel et bien un Coraçao Independente, à
l'instar des cœurs ouvragés sus-mentionnés.
©
Miguel Domingos Courtesy Atelier Joana Vasconcelos
Le Lilicoptère
est le clou du spectacle. Jamais le mot kitsch n'aura trouvé une si
belle illustration. La réaction des visiteurs en entrant dans la
pièce parle d'elle-même : nous poussons presque tous des «oh »
et des « ah » d'étonnement. J'aurais aimé être une
touriste étrangère venue principalement découvrir le château, et
prendre les œuvres de Joana Vasconcelos comme autant de surprises.
Hélas la lourde campagne médiatique a rendu la fiction impossible
et il eût fallu être ermite ces 3 derniers mois pour ne pas
apercevoir, bon gré mal gré, une photo officielle du Lilicoptère.
Mais si les photos entraperçues gâchent un peu la surprise, elles
ne rendent pas justice à la folie des grandeurs qui caractérise cet
OVNI.
L'ensemble produit
l'effet d'une machine-animal, qui n'est pas sans évoquer les
créations des Lalanne en leur temps. Comme eux, de l'onirique au grotesque la ligne est
fine. Joana Vasconcelos échappe cependant à la disneylandisation,
sans que l'on puisse attribuer précisément à quoi elle doit son
salut. C'est sans doute la marque des artistes. Jean-François
Chougnet, commissaire de l'exposition, lance une idée :
l'humour.
In fine, Joana
Vasconcelos avait sa place à Versailles, et c'est elle-même qui le
dit encore le mieux :
"Si mon
travail se développe autour de l'idée que le monde est un opéra,
Versailles incarne l'idéal opératique et esthétique qui m'anime."
Joana Vasconcelos Versailles
Jusqu'au 30
septembre 2012
Et bien sûr la pièce refusée, la Noiva, à voir au Centquatre jusqu'au 18 septembre
Et bien sûr la pièce refusée, la Noiva, à voir au Centquatre jusqu'au 18 septembre
Commentaires
Quant au salut fragile par l'humour, oui cela doit être cela. Moi aussi j'ai tenté de caractériser cette frontière sans y arriver.